En hommage aux victimes de l’attentat au camion bélier de Jérusalem, le drapeau israélien a été projeté sur la porte de Brandebourg de Berlin le 9 janvier 2017.

Un pays en quête d’expiation

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne s’efforce de se reconstruire moralement.
Mais dans ce long travail de mémoire, un phénomène plus récent intrigue : la manière dont une partie de la société allemande s’est “convertie” au sionisme, transformant cette idéologie politique en marque de vertu morale.

Aujourd’hui, les descendants des anciens bourreaux se posent en gardiens autoproclamés de la “vie juive” — au point d’accuser les juifs eux-mêmes d’antisémitisme lorsqu’ils critiquent Israël.
Cette inversion du sens, profondément troublante, révèle une mutation identitaire : dans la nouvelle Allemagne, se dire pro-israélien équivaut souvent à être un “bon Allemand”.

De la culpabilité à la conversion symbolique

Dans les années qui ont suivi la défaite nazie, la société allemande portait encore les stigmates d’un pays détruit et culpabilisé.
Le chancelier Konrad Adenauer déclarait alors :

“Nous avons causé un tort immense aux juifs. Nous devons réparer, si nous voulons regagner le respect du monde.”

Mais derrière ce discours de repentance se cachait une logique ambiguë : celle d’un calcul politique. Adenauer affirmait aussi que “le pouvoir des juifs, surtout en Amérique, ne devait pas être sous-estimé”.
Une phrase révélatrice d’un antisémitisme latent, qui voyait dans la “réconciliation” un moyen de restaurer l’image du pays plutôt qu’un réel examen de conscience.

L’Allemagne d’aujourd’hui prolonge cette logique sous une forme nouvelle : l’identification systématique entre Israël et les juifs — une confusion qui permet à l’État allemand d’afficher sa “vertu” tout en stigmatisant ceux qui osent remettre en question la politique israélienne.

Quand les juifs deviennent les “autres” à nouveau

Dans les années 2000, une blague d’enfant entendue à Berlin résumait déjà le malaise :

“Quelle est la différence entre les juifs et les musulmans ? Les juifs, eux, y sont déjà passés.”

Cette phrase, glaçante, exprimait les peurs croisées d’une majorité blanche et des minorités visibles.
Le “nouvel antisémitisme” allemand s’exerce désormais… au nom de la lutte contre l’antisémitisme.

Des plaintes pour “incidents antisémites” sont souvent déposées par des Allemands non juifs, issus de familles nazies, se disant “blessés” par des juifs manifestant contre Israël.
Un renversement total : la culpabilité héritée se transforme en agressivité morale.

Le sionisme comme purification identitaire

Autrefois, certaines Allemandes cherchaient à “expier” le passé familial en partant travailler dans des kibboutz israéliens.
Aujourd’hui, plus besoin de voyage, ni de conversion religieuse : il suffit d’arborer un drapeau israélien ou de reprendre la rhétorique pro-sioniste pour se sentir du bon côté de l’Histoire.

Des figures médiatiques allemandes s’expriment comme des porte-paroles d’Israël, vantant ses “valeurs démocratiques” et dénonçant toute critique comme “haine des juifs”.
Une partie de la gauche, surtout dans les milieux universitaires, a également adopté ce discours, transformant l’engagement sioniste en signe d’appartenance morale.

La culture du souvenir devenue industrie

La fameuse “culture du souvenir” allemande, autrefois portée par des citoyens fouillant les archives familiales pour confronter le passé nazi, s’est institutionnalisée.
Désormais, elle est gérée par l’État, financée à coups de millions, et dotée d’un discours officiel : celui d’une Allemagne exemplaire, “réconciliée” avec son histoire.

La construction du Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe, à Berlin, illustre cette évolution.
Initiée par une Allemande non juive, Edith Rosh (qui se fit appeler “Lea”), cette œuvre emblématique fut conçue sans implication directe de la communauté juive.
Elle déclara alors :

“Ce mémorial, ce n’est pas pour les juifs. Ce sont les descendants des agresseurs qui le construisent.”

Une phrase qui dit tout : le souvenir est devenu un acte performatif, une preuve publique que “l’Allemagne a changé”.

Un “shtetl” à l’allemande

Dans ce nouveau chapitre, l’Allemagne s’est métamorphosée en un shtetl moderne — une sorte de décor juif reconstitué pour l’usage national.
Musique klezmer omniprésente, prénoms hébraïques à la mode, universités enseignant le judaïsme sous la direction de professeurs non juifs : la “vie juive” est désormais un produit culturel allemand.

Des conversions financées par l’État réinventent un judaïsme “libéral”, aseptisé, présenté comme plus acceptable que celui des juifs ultra-orthodoxes.
Dans ce théâtre identitaire, être juif devient une posture — parfois même une imposture.

Les scandales de “faux rabbins” et d’intellectuels non juifs usurpant une identité pour obtenir reconnaissance et subventions sont nombreux.
Cette “fabrication” d’une judéité allemande permet de masquer le vrai sujet : la persistance d’un racisme structurel, désormais redirigé contre les Arabes et les musulmans.

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Citation de la semaine

« La résistance est un droit sacré du peuple palestinien face à l’occupation israélienne. Personne ne doit oublier que le peuple palestinien a négocié pendant dix ans, accepté des accords difficiles et humiliants, et qu’au final il n’a obtenu qu’une autorité sur les personnes, sans autorité sur la terre ni souveraineté« 

~ Marwan Barghouti

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